Destination Paris ou Port-au-Prince?
Les photos des Champs Élysées qui circulent sur Internet ces jours-ci n'ont pas l'air de ça.
Tout comme les photos d'Haïti que l'on publie, en général, ont rarement l'air de ça. Même lorsqu'un semblant de stabilité y règne. (The way my petty is set up...)
Non, ce billet ne traitera pas de l'image que l'on vend d'Haïti. Il traitera plutôt des avertissements de voyage pour la France et Haïti, sur le site voyage.gc.ca, alors que les rues des deux pays ont récemment été témoins de manifs organisées par les Gilets jaunes, au pays des Droits de l'homme, et les Petro Challengers, au pays de la Liberté.
Il faut remarquer que l'ancienne Métropole a bien l'air de suivre l'exemple de son ancienne Perle. Avant de gagner les rues, les Petro Challengeurs avaient envahi les médias sociaux à coup de #PetrocaribeChallenge et #KotKòbPetroCaribeA. Après les pancartes qui posaient la question qui dérange: Kot kòb PetroCaribe A? (où sont passés les 3,8 milliards provenant des fonds PetroCaribe?), ils ont posé la même question en prenant les rue partout au pays et dans quelques villes à l'étranger. Comme eux, les Gilets jaunes sont passés du Web à la rue. Comme eux, les Gilets jaunes n'ont pas de leaders désignés. Comme eux, les Gilets jaunes expriment un ras-le-bol, un trop-plein, une rage face à un statu quo ignoble.
Les mêmes combats! Kenbe la!
Revenons à notre question de départ: un voyage à Paris ou à Port-au-Prince?
D'après les avertissements, il serait plus sécuritaire de se rendre en France, en dépit de la « menace terroriste actuellement élevée ». Notez que les deux avertissements font état des récentes manifs.
Permettez-moi une nouvelle digression.
Je pense qu'il est important de noter que je me suis rendue à Paris trois semaines après les attentats de novembre 2015. En fait, j'ai acheté mon billet d'avion et réservé mon appartement deux semaines avant mon départ. En 2017, je me suis rendue en Colombie (Bogota) et au Liban (Beirut), deux pays que les avertissements ne peignent pas sous un beau jour. L'avertissement pour le Liban paraissait encore plus alarmant que celui pour Haïti. Notre ami, qui en revenait, avait vite fait de calmer nos doutes. Cet été, je me suis rendue à Port-au-Prince. En dépit de l'avertissement.
Nous pouvons dire, sans trop exagérer, que je prends ces avertissements, tout en demeurant prudente, avec un grain de sel.
Cette habitude de les prendre avec un grain de sel vient du fait que je lis de temps à autre l'avertissement pour Haïti, l'une de mes principales destinations de voyage. J'y ai vécu pendant un quart de siècle (ça fait important, non !? 😉). L'avertissement décrit souvent une réalité qui m'est familière et ne m'apprend rien de nouveau. Je sais dans quoi je m'embarque. En réalité, cet avertissement ne m'est pas adressé. Je n'en suis pas le public cible. Du moins, je ne le pense pas. Il offre une vue d'ensemble de la situation à un destinataire qui ne connaît pas forcément la réalité du pays. Il ne fait pas état de la complexité de la situation. Il n'y a pas de nuances. Le but est d'offrir au potentiel visiteur l'information qu'il lui faut pour prendre la décision d'acheter son billet ou pas.
D'ailleurs, le prisme dans lequel on analyse la situation est Nord-américain. Ce n'est pas une mauvaise chose. Moi, mon prisme est, la plupart du temps, celui d'une fille qui vient du Tiers-Monde. Mon seuil de tolérance en matière de confort, de sécurité, etc. diffère de celui d'une personne qui a passé toute sa vie, ou qui s'est habitué, à la «first world way of life».
Hier, sur Facebook, j'ai eu une intéressante discussion avec un ami à ce sujet. C'est d'ailleurs cette discussion qui a motivé la rédaction de ce billet. Nous avons parlé des rapports Nord-Sud qui sous-tendent le ton de ces avertissements. Savoir que ces rapports existent et comprendre qu'ils ont une influence sur les points de vue devraient nous pousser à nous demander pourquoi les tons sont différents. Personnellement, je ne pense pas que les deux situations se valent. Les manifs en Haïti s'inscrivent dans un contexte où l'impunité et un climat d'insécurité — soulignons climat — règnent. Le niveau de confiance n'est pas à son top.
La confiance, ici, a toute son importance. On s'entend que les chiffres montrent que la Jamaïque et la République Dominicaine sont parmi les îles les plus dangereuses de la Caraïbe, en termes de taux de meurtres. En 2017, la Jamaïque était en tête de lice et la République Dominicaine, en septième position. Un bémol, les crimes violents n'ont pas, pour la plupart, pour cible les touristes. Haïti se retrouvait au bas de la liste, avec un taux en dessous de 10 pour 100 000, un taux comparable à celui (surprise!) des États-Unis d'Amérique, de la Martinique et de Cuba, entre autres. En prenant en considération les cas de vols qualifiés, les chiffres plaçaient la République Dominicaine en première place.
Toutefois, ces îles sont dotées d'enclaves touristiques qui procurent une impression de sécurité aux touristes. L'ambiance à Punta Cana n'a rien à voir avec l'énergie quasi électrisante de Santo-Domingo. À Montego Bay, on est très loin des quartiers chauds de Kingston. Tout comme à Labadi, le touriste ne voit rien du train-train de Port-au-Prince. De plus, et c'est là que je parlerai brièvement d'image, le marketing touristique pour ces destinations a une grande influence sur leur statut de destinations de choix. Il s'agit, tout de même, d'un statut précaire qu'il faut constamment maintenir. Au moindre incident, mauvaise presse. Et qui dit mauvaise presse dit fuite des touristes. Ce qui est vrai tant pour les pays du Sud que ceux du Nord. (Voir les chiffres pour la France après les attaques de novembre 2015.)
Ce billet est bien plus long que je ne l'avais prévu. Mais, bon...
Je pense que le tout se résume en trois points: les rapports Nord-Sud (pour ce qui est du ton de ces avertissements), le niveau de confiance du touriste (sentiment de sécurité, confiance dans la capacité des autorités locales), la vision du monde du touriste. En fin de compte, je n'encouragerai personne à se mettre dans une situation dans laquelle elle ne se sent pas en sécurité. Ce sentiment joue un rôle important dans l'experience globale que l'on a lorsqu'on voyage. Je vous encourage plutôt à questionner les raisons qui vous poussent à faire certains choix. Il se pourrait que vos raisons soient complètement valides. Il se pourrait aussi que ce questionnement vous permette de voir les choses autrement.
Lisez-vous les avertissements avant de choisir une destination? Les avertissements influencent-ils votre choix?
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