Depuis l'annonce du mariage de ma petite sœur au Royal Decameron, sur la magnifique Côte Des Arcadins, il était prévu que je fasse d'une pierre deux coups. Si j'avais hâte de voir soeurette faire le grand saut dans la vie de Madan marye, j'avais encore plus hâte de me retrouver à la maison pour me reposer. En Haïti pour un peu plus d'un mois, je me suis préparé une liste de choses à faire: multiples siestes, sorties, laisser la nounou s'occuper de bébé, terminer la lecture de mes livres, me mettre à jour dans la rédaction d'articles...
Après avoir vécu à la vitesse grand «V» pendant beaucoup trop longtemps, mon corps et mon esprit me réclamaient une pause. Fidèle à moi-même, j'étais en mode veille, sans jamais même effleurer l’idée d’être en arrêt. Pour ma défense, ce n'est pas entièrement de ma faute...
« Ap gen dezod deyo a, Jovenel ap monte pri gaz la ». Ces mots étaient sur toutes les lèvres. Nous étions au pays depuis déjà 2 semaines quand le vent a soudainement changé.
Obligations professionnelles obligent, chéri a pris le chemin du retour le 3 juillet. Ma soeur, à reculons, est repartie le 4. L'après-midi du 6 juillet, le Brésil, équipe chouchou des Haïtiens, affrontait la Belgique. N'ayant aucune idée de ce qui se préparait dans la capitale, mon petit frère, comme d'autres partisans enthousiastes, s'est rendu dans un bar sportif pour écouter le match. J'avais également été invitée, mais j'ai décliné l'invitation. Aujourd'hui, je me dis que mon je-m'en-foutisme royal pour la coupe du monde ne m'aura jamais si bien servi.
Le Brésil s'est incliné, les esprits se sont mis à chauffer, le deblozay a débuté. Certains ont dit, à la blague qui se rapproche tout de même un peu beaucoup de la réalité, que l'élimination du Brésil a jeté de l'huile sur le feu. Coincé dans sa voiture, parmi une foule hostile, mon beau-frère nous a appelés pour nous signaler que lari a pa bon menm. S'ensuivirent les recommandations. Le mot d'ordre: redoubler de sécurité. Tout le monde à l'intérieur, on ferme les portes et on ajoute un deuxième cadenas sur la barrière. De toute évidence, il avait l'habitude.
Me voilà donc, en plein milieu de vacances que je souhaitais reposantes, avec mes 5 enfants, dans mon premier kouri en Haïti. Le dezòd, je connais. Les pneus qui brûlent à chaque coin de rue, je connais. Le climat d'insécurité, je connais. Ne pas trouver les mots pour expliquer aux enfants pourquoi un manifestant m'insulte à cause de mon teint trop clair selon lui, les cheveux swa de ma plus vieille et notre allure de dyaspora, je ne connaissais pas...
Cette nuit-là, plusieurs sont devenus, bien malgré eux, des témoins impuissants du grabuge. Les barricades érigées par des manifestants en colère les forçant à découcher. Dans différents coins de Port-au-Prince, frérot et mon beau-frère ont dormi dans leur voiture, dans la cour d'un bon samaritain. Mon cœur se resserrait dans ma poitrine, menaçant de lâcher à tout moment. «Je savais que je n'aurais pas dû partir». Les paroles de ma soeur, inquiète pour son mari, n'aidaient en rien à la cause.
Puis, il y a eu les coups de feu. Les enfants, dans toute leur innocence, m'ont demandé s'il s'agissait de feux d'artifice ou de pétards. J'ai ri pour camoufler la panique qui s'installait tranquillement. Après réflexion, j'ai choisi de leur dire la vérité. Entendre le son de ma voix les rassurer m'a moi-même apaisée. Restons calmes, nous n'avons rien à craindre.
Le lendemain, toujours impossible de circuler en auto. Nos "grands voyageurs" prirent donc la route à pied. Quand ils ont franchi la porte, après avoir marché trois heures, nous avons applaudi. Les enfants, par admiration, mes parents et moi de soulagement. Au même moment, des manifestants détruisaient et pillaient le Délimart de Clercine, après avoir allumé un incendie dans le marché de Tabarre. Heureusement, nous avions des réserves de nourriture.
L'audace des pilleurs a provoqué une explosion de rires. Les voir déambuler devant la maison, insouciants, avec leur butin dans un sac arborant le logo du Délimart ou encore transporter un ensemble bistro ou une cuvette à moto... c'était de toute beauté!
Le calme, si on peut l'appeler ainsi, est revenu à partir du dimanche. Les avions n'entraient ni ne sortaient du pays, les ambassades étaient fermées jusqu'à nouvel ordre, mais la vie reprenait petit à petit son cours normal. Le gouvernement a annoncé que le prix de à la pompe n'augmenterait pas... du moins pour l'instant. La démission du premier ministre était imminente. Welcome to Haiti! Ne ratant pas une occasion, j'en ai profité pour offrir un cours de politique sociale à mes plus vieilles. Je souhaitais qu'elles comprennent que la colère du peuple n'était pas apparue du jour au lendemain. C'était plutôt le fruit de toute la frustration accumulée au cours des dernières décennies.
Les vols reprirent au compte-goutte la semaine suivante. Plusieurs touristes affluaient vers l'aéroport pour se dénicher une place à bord d'un avion. Les enfants et moi sommes retournés à la planification des activités pour le reste de notre séjour...
Je n’ai jamais craint pour ma vie, ni pour celle de mes enfants. Même si les images et les messages sur WhatsApp venant de l’étranger ont servi à alimenter la psychose collective. Vive la désinformation! Haïti n’a pas été réduite en cendre comme Pompéi. Loin de là! Déjà, ce ne sont pas tous les quartiers qui ont subi des dégâts. Malgré les dommages collatéraux, ce n’était pas non plus le début d’une guerre civile.
Vais-je retourner en Haïti avec les enfants? La réponse des concernés est unanime: «Oui, bien sûr!» J'aime ce pays, eux aussi. Avec tout ce qu'il comporte de merveilleux, de bon et de moins bon. Il est également important pour chéri et moi que les enfants n'oublient pas leurs racines. Nous sommes Canadiens sur papier et Palmis pou lavi!
Sylberte est blogueuse. Vous pouvez lire ses textes sur sa page Facebook: L'envol de la pensée, un blogue bien-être pour inspirer et motiver où elle partage ses expériences et laisse sa pensée prendre son envol.