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Un dimanche à Port-au-Prince


Les rues étaient blanches, comme on dit chez nous. La ville se réveillait à peine du sommeil profond qui l’avait envahi après les bamboches de la veille. Malgré leurs soucis, les Port-au-Princiens ont fêté selon leur moyen. Noël quand même, disait l’autre. Certains n’avaient rien à célébrer. Faute de moyen ou de joie, ils se sont couché le ventre creux ou le cœur en peine. Mais nous n’aimons pas parler d’eux. Cela nous empêcherait de danser comme ça doit.

Nous avons fait le trajet de Tabarre au Bois-Verna en un clin d’œil. Peu de camionnettes et de motos : le paradis. Si nous vivions encore en Haïti, nos dimanches matins auraient l’air de ça, pensais-je : église (peut-être) suivi d’un dîner en famille (sûrement), ou peut-être irions-nous à la plage (bien plus probable). Il y avait peu de voitures, pourtant les petites marchandes étaient déjà installées au bord de la rue. Il n’y a pas de dimanche pour les malerèz. Elles doivent chercher la vie tous les jours afin de nourrir leur famille.

Ce dimanche matin me rappelait tant d’autres dimanches où, en revenant d’un bal, je rentrais à la maison pour dormir alors que d’autres entamait leur journée.

Port-au-Prince se réveille au son des « réveillez-vous, Christ revient ». Ce sont les pas des marchandes et des travailleurs qui mènent la cadence. C’est au son des voix mélodieuses des vendeuses d’œufs bouillis et de figues mûres que de nombreux Port-au-Princiens se réveillent. Les habitants se réveillent tôt. L’avenir devrait leur appartenir, pourtant il n’en est rien. Ils se réveillent, luttent, se couchent et recommencent le lendemain.

Les rues vides mettent la ville à nue. Aucune distraction. Je l’ai vue de près. Ses rues sinueuses. Les montagnes majestueuses qui l’entourent. L’asphalte parsemé de bosses et de nids de poule. Immondices et chiens errants. Les bougainvilliers que n’arrivent pas à retenir les murs. Les rues vides rappellent aussi ces journées où « les rats ne devaient pas déféquer et que les souris ne devaient pas traverser la rue ». Elles sont synonymes de grabuge. Pendant un moment nous nous sommes demandés s’il y avait un kouri. Non. C’était seulement un 25 décembre tranquille.

Pendant que certains se remettaient des festivités de la veille, d’autres sortaient de l’église. Certains des bambocheurs de la veille s’étaient donné la peine de se réveiller tôt; aucun effort n’est trop grand pour mériter la grâce et la bénédiction divines. Les ouailles de l’église Saint-Louis-Roi-de-France étaient nombreuses. Elles sortaient en masse de l’abri recouvert de tôle qui leur sert maintenant de lieu de culte. Remplis de cette joie que seule peut procurer une bonne messe, les paroissiens occupaient les trottoirs des deux côtés de la rue. Certains s’attardaient pour causer un peu. D’autres se pressaient pour monter dans leur véhicule garé non loin.

Nous faisions partie du groupe qui pénétrait dans l’église pour la prochaine messe. Une messe spéciale : le baptême d’une vingtaine de bébés, dont notre nièce. (Soit dit en passant, nous avons maximisé le coût de nos billets : un mariage, 3 baptêmes, plage, resto. Nul ne dira que nous avons perdu notre argent.) Cela faisait un bail depuis que je n’avais assisté à une messe. C’est donc avec plaisir que j’ai retrouvé les chants de mon enfance. C’est à croire que la personne qui a préparé la messe s’était inspirée des cassettes de ma grand-mère.

Le temps d’une messe, je me suis retrouvée dans cette Haïti d’antan dont je garde plein de souvenirs. Les pèlerinages avec Grann avant de nous rendre à la Croix-des-Bossales. Les longues journées où nous l’aidions à piler du café et qu’elle jouait en boucle du konpa letènel (c’est ainsi que ses enfants appelaient la musique religieuse que ma grand-mère écoutait, par opposition au konpa dirèk qu’ils affectionnaient). J’ai écrit « aider », mais bon… J’attendais plutôt patiemment qu’elle me donne un morceau de caramel.

Un dimanche tranquille à PauP. Pas de meilleure façon de clôturer mes vacances.


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