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On se prépare pour le nouvel an à Ti Fouchard


Ti Fouchard, ou la rue Ludovic Brière, se situe dans le quartier de Carrefour Feuilles à Port-au-Prince. C'est le fief de mon mari. Sa famille vit sur cette rue depuis que je le connais. C'est une rue que j'aime bien, car elle me rappelle la ruelle Vilgrain. La ruelle Vilgrain se situe à quelques minutes de là. Mes grands-parents maternels y ont vécu pendant près de 30 années. C'est la rue de mon enfance.

Rien n'a changé, pourtant tout est différent. Le bus jaune qui servait de point de repère n'y est plus. Il y a de nouveaux visages. Toutefois, on y retrouve encore des habitants de longue date. Des jeunes gens n'ayant pas mieux à faire se retrouvent dans la rue pour jaser, jouer ou regarder passer les gens. Les marchands ambulants y affluent encore. Un voisin mélomane a mis à fond la sono. Des chansons de Noël succèdent au Konpa. Il n'y a aucun doute, je suis chez moi.

Il est environ 11 h du matin un mardi. Une demie douzaine de jeunes hommes entourent une table installée sur le trottoir. Quatre d’entre eux sont assis et jouent aux dominos; les deux autres sont debout et suivent attentivement la partie. Ils parlent politique. Ils débattent entre autres des causes de la mort de Samba Kesey. D’après les dires d’un des joueurs, sa mort n’est pas “simple”. Il y voit plutôt un coup de poudre ou une expédition. Je ris sous cap. Les souvenirs de mon enfance affluent. Il fait chaud. Le soleil tape déjà.

Il est maintenant passé midi. La partie a pris fin. Une odeur de carbure envahit la galerie de Manmie Zette, ma belle-mère. Une odeur qui annonce la venue des fêtes de fin d’année. Blanchir les murs avec de la chaux ou utiliser de la peinture (selon ses moyens), décorer les arbres de lumières et de guirlandes. Voilà comment le Port-au-Princien moyen accueil le nouvel an: une maison propre et attrayante.

Les joueurs se convertissent en peintres et en décorateurs. Au rythme de la musique qui anime le voisinage depuis mon arrivée, les pinceaux s’activent. Les voix répètent en cœur le refrain d’une ancienne chanson de Djakout (♪♪si w bezwen tandrès m’ap ba ou li♪♪). Ces joueurs/peintres se transforment aussi en roméos lorsque des jeunes filles passent dans la rue. Ils leur glissent des bonjours. Leurs regards s'attardent sur la courbe d'une hanche. Perchée sur la galerie de Manmie Zette, j'observe sans être vue. Je prends des photos sans qu'ils ne s'en rendent compte. Je suis à la lettre les conseils de feu M. Vixamar: tout écrivain est avant tout voyeur.

L’un d’entre eux dit tout haut ce à quoi je pensais depuis que les travaux avaient débuté: les propriétaires ne peignent plus leur maison. En effet, sur cette rue, il devrait y avoir plus de jeunes à se livrer à ce genre d’activités. Ce dont je me doute depuis mon arrivée est peut-être vrai: le fossé entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas s’est creusé d’avantage.

Cette rue, comme tant d’autres dans le quartier, hébergeait dans le temps la lower middle class. Ces gens qui, sans être riches, parvenaient à faire l’effort d’envoyer leurs enfants dans les meilleures écoles. Ces gens qui s'arrangeaient pour que la nouvelle année retrouve une maison fraîchement peinte. Les habitudes comme les voisins ont changé. Depuis mon retour, Port-au-Prince sent la crise financière à plein nez. Il semble y avoir trois fois plus de mendiants que dans mon souvenir. Les maisons non peintes ne font que démontrer le manque d'argent.

Port-au-Prince. À la limite de l'enfer et du paradis. Paradis pour ceux qui profitent du chaos. Enfer pour ceux qui en souffrent. Moi, j'ai l'impression d'être en plein purgatoire. Je souffre de voir ma ville meurtrie. Je peine à en reconnaître les rues. Cependant une joie sourde remplit mon coeur lorsque je reprends des habitudes longtemps oubliées. Port-au-Prince. Cette étrangère qui demeure ô combien familière.

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