top of page
Writer's pictureaymexume

Ce qui se passe dans la tête d’une dyaspora qui retourne au pays


Une fois la décision prise et le billet acheté. Pa gen rout pa bwa… On y va! Au rythme de Fò m’ale d’Emmeline, on fait ses bagages et on dit bye-bye la neige (insert Papi’s voice and wave).

Sur ce, je vous invite à faire un petit tour dans les pensées d’une dyaspora qui retourne au bercail.

1. Arrêter d’écouter les nouvelles d’Haïti

À distance, tout parait plus dangereux, plus lugubre. Il faut résister à l’envie d’aller sur le Web et de lire les nouvelles.

Facebook est un territoire neutre; il suffit de prendre les précautions nécessaires : ne pas suivre ceux qui ne font que partager les nouvelles à sensation. Toutefois, continuer à suivre ceux qui parlent de manière humoristique du contexte politique se révèle utile. Histoire de rester au fait des expressions « du moment » et de rire un peu.

2. Ne pas dire à d’autres haïtiens que l’on va en Haïti

Et ce, pour deux raisons : les komisyon (ces colis que nous confient parents et amis aux fins de transport) et le fameux « Ou pral Ayiti?! » [tu vas en Haïti?!] suivi d’un profond soupir et de la sempiternelle litanie intitulée : les raisons pour lesquelles il ne faudrait pas se rendre en Haïti.

Pour ce qui est des komisyon… Mes congénères ne comprennent pas le concept « voyager léger » lorsque l’on se rend en Haïti. Pour aller ailleurs, ça passe. Mais débarquer sur la terre de Dessalines avec pour tout bagage un sac à dos. Ils crient au blasphème. « You can’t backpack to Haiti. It’s a crime against us all! », m’a dit M l'autre jour. Se rendre en Haïti devient synonyme de brote une multitude de cadeaux et d’objets divers. Oui, je généralise, car ceux qui constituent l’exception sont très peu nombreux. Et non, il ne s’agit pas d’une question d’âge!

Lorsque je pars avec des mallettes, je suis prête à apporter des komisyon pour toute personne de confiance ayant besoin de mes services. Mais lorsque je ne voyage qu’avec mon sac à dos, la norme ces derniers temps, je n’offre pas mes services! :o)

Quant aux fameux « Ou pral Ayiti! Hmmm ». Je n’en veux pas! Gardez-le pour vous! Notons que ce sont souvent des dyaspora qui n’ont jamais remis les pieds sur le terroir, ou qui n’y sont pas retournés depuis 1983, qui nous sortent cette réponse.

On s’entend qu’en tant qu’haïtienne du pays majeure et vaccinée ayant passé plus de 25 ans sur sa terre natale et qui y retourne assez régulièrement, je sais très bien à quoi m’attendre. Ainsi, tous les soupirs du monde ne sauront me convaincre de ne pas y retourner. De plus, vous savez pertinemment que je risque de vous demander « Ki dènye fwa w al Ayiti? »; le tout ponctué d’un regard soutenu et d’un beau sourire. « Ki dènye fwa w al Ayiti? » veut dire « À quand remonte ta dernière visite en Haïti? ». Le regard et le sourire veulent dire : je sais que tu n’y as pas mis les pieds depuis longtemps et que tu ne sais rien de ce qui se passe là-bas, car nous en avons parlé récemment; so who are you to tell me what to do! (Diatribe que je ne peux lancer sans dire adieu à notre amitié.)

Soit dit en passant, les mêmes personnes qui se font le devoir de vous dire qu’il n’est pas prudent d’aller en Haïti sont parmi les premières à vous charger de komisyon. La rapidité avec laquelle elles passent de « Ou pral Ayiti! Hmmm! Ou pa tande bla-bla-bla » à « Ou ka pote 2 pè soulye ak 3 chemiz bay kouzin mwen pou mwen » me laisse sans voix.

3. Prier pour qu’il n’y ait pas de dezòd (grabuge) pendant son séjour

Parce qu’on s’entend, au prix du billet, ce serait tout à fait raz (ennuyeux) de rester à la maison à cause d’un kouri (mouvement de panique).

Il y a même toute une série de raisonnements farfelus qui accompagne cette prière. Du genre : en général, pendant le temps des Fêtes, les choses sont plus calmes; on rentre en Haïti un mois après les élections, tout devrait être correct; je ne rentre que pour trois jours, tout devrait être correct. Autant de bêtises pour se rassurer que l’on ne perdra pas l’argent de son billet…

Mon modus operandi : prise de décision; achat du billet; application minutieuse des points 1 et 2; et, en cas de doute soudain, répétition de l’adage « vas où tu veux, meurs où tu dois ». (En fait, je pense que l’on oublie, à tort, que la sécurité est une question de perception et de probabilité. Rien n'est garanti. Mais, bon…)

4. Shopping!

Pas pour moi, pour la famille et les amis. Proposer à une amie de lui apporter son rouge à lèvres préféré (je salue M. sur ce track). Acheter une petite gâterie pour les neveux. Sac à dos ou pas… Ce sont ces petits gestes qui montrent aux autres que vous pensez à eux. Ce sont aussi ces petits gestes qui vous éviteront de répondre à l’inévitable « où est mon cadeau? » d’un neveu trop jeune pour comprendre qu’on ne demande pas ce genre de chose.

Et ils me le rendront bien! Car à leur tour ils se feront un devoir de me mettre au petit soin : cuisson de mes mets préférés, kremas à gogo, desserts de chez Marie B., et j’en passe. Non, ce n’est pas du donnant-donnant. Il s’agit là de règles de base de l’hospitalité haïtienne.

5. Prévoir deux jours pour rendre visite aux amis de la famille

Âge, statut matrimonial, durée du séjour, rien ne justifie la décision de ne pas passer dire un petit bonjour aux amis de maman. Incident diplomatique! Sinon, il faut que la mère omette de dire que vous étiez passé. Et c’est un peu injuste de demander à une dame de son âge de mentir. De plus, elle avait déjà dit à tout le monde que sa fille allait rentrer… Bref! Prévoir deux jours pour rendre visite aux amis de la famille. Epi lapè!

Jour J -10!


128 views0 comments
bottom of page